L’herbier rebelle
Tout n’est qu’évanescence, tout à la longue se corrompt et s’efface - et les ramures désemparées jonchent le sol au gré du vent, du balancier des saisons.
Des feuilles, ici et là, s’accrochent pourtant de leurs griffes, de leurs nervures, dans leur soif de déjouer un temps la menace, de prolonger le sursis si vite expiré qu’est un passage sur cette terre - un cheminement gravé sur leur peau de rides et de gerçures, incrusté sur une écorce craquelée de vieilles blessures, d’une tenace écorchure.
On les dirait habitées d’un obscur refus de se plier au lot commun, de se résoudre au dernier adieu, de rejoindre le final charnier. En un ultime sursaut, elles oublient les souffles mauvais, les tempêtes, les ressacs, trouvent la ressource de se draper de leur livrée d’apparat, d’éclabousser les alentours des vestiges de leurs feux et de darder, au cœur des ombres, leurs lueurs de jais et de charbon. De furtives caresses se déposent alors sur la pelure des nuits étonnées, et ces feuilles, à la robe soudain défroissée, entonnent un chœur de murmures, de psaumes, qui bourdonnent en sourdine sous les étoiles et disent leur rêve de saluer d’autres matins encore, le sacre de nouveaux soleils.
C’est bien un herbier survivant que recueille Alain Béguerie dans ses chatoyantes et si émouvantes photos. Des feuilles fanées, mortes en apparence, ont échappé à l’effritement, au pourrissement des choses et gardé la flamboyance intacte de leurs tulles, de leurs dentelles. Leurs moisissures s’enfièvrent d’un ferment enfoui, d’une extase lointaine, elles tressaillent, éclatent de sucs, de vapeurs, de rosées mutines, de cascades de buées. Le bâillon se déchire, le jardin s’anime de l’écho des retrouvailles, le silence se peuple de conciliabules secrets, l’horizon s’empourpre des lueurs fauves d’ insoupçonnés incendies. Loin des flétrissures, le glas funèbre le cède à l’aubade des clarines et la terre décomposée se remémore les orages de la jouvence du monde.
Henri ZALAMANSKY
Tout n’est qu’évanescence, tout à la longue se corrompt et s’efface - et les ramures désemparées jonchent le sol au gré du vent, du balancier des saisons.
Des feuilles, ici et là, s’accrochent pourtant de leurs griffes, de leurs nervures, dans leur soif de déjouer un temps la menace, de prolonger le sursis si vite expiré qu’est un passage sur cette terre - un cheminement gravé sur leur peau de rides et de gerçures, incrusté sur une écorce craquelée de vieilles blessures, d’une tenace écorchure.
On les dirait habitées d’un obscur refus de se plier au lot commun, de se résoudre au dernier adieu, de rejoindre le final charnier. En un ultime sursaut, elles oublient les souffles mauvais, les tempêtes, les ressacs, trouvent la ressource de se draper de leur livrée d’apparat, d’éclabousser les alentours des vestiges de leurs feux et de darder, au cœur des ombres, leurs lueurs de jais et de charbon. De furtives caresses se déposent alors sur la pelure des nuits étonnées, et ces feuilles, à la robe soudain défroissée, entonnent un chœur de murmures, de psaumes, qui bourdonnent en sourdine sous les étoiles et disent leur rêve de saluer d’autres matins encore, le sacre de nouveaux soleils.
C’est bien un herbier survivant que recueille Alain Béguerie dans ses chatoyantes et si émouvantes photos. Des feuilles fanées, mortes en apparence, ont échappé à l’effritement, au pourrissement des choses et gardé la flamboyance intacte de leurs tulles, de leurs dentelles. Leurs moisissures s’enfièvrent d’un ferment enfoui, d’une extase lointaine, elles tressaillent, éclatent de sucs, de vapeurs, de rosées mutines, de cascades de buées. Le bâillon se déchire, le jardin s’anime de l’écho des retrouvailles, le silence se peuple de conciliabules secrets, l’horizon s’empourpre des lueurs fauves d’ insoupçonnés incendies. Loin des flétrissures, le glas funèbre le cède à l’aubade des clarines et la terre décomposée se remémore les orages de la jouvence du monde.
Henri ZALAMANSKY